Quelques règles d’or qui mènent au bonheur d’être en paix avec soi

Comment bien vivre les liens familiaux et transgénérationnels

L’un des privilèges du troisième âge est de pouvoir regarder en arrière, de revisiter le chemin parcouru. Au-dessus de l’infinitude d’un paysage fait de petits moments fugitifs, de sentiments perdus, d’éveils timides, émergent alors quelques évidences tels de grands panneaux indicateurs lumineux. Ce sont les règles d’or qui mènent au bonheur d’être en paix avec soi au terme d’une vie et qui se transmettent d’une génération à l’autre depuis toujours. Pourtant, il aura fallu errer dans la brume des principes, des illusions et des craintes avant de pouvoir discerner ici ou là les bribes de ce qui est essentiel.

Le cocon familial est le sol humifère qui nourrit notre croissance. Ce truisme forge notre première règle d’or : la reconnaissance.

La vraie reconnaissance, celle consciente qui émane de l’être, ce sentiment profond au parfum d’amour empreint d’un brin d’humilité n’est parvenu à maturité que très tard pour moi. L’enfant que j’étais manifestait certainement de la reconnaissance envers ses parents, mais c’était inné, inconscient et surtout enfoui sous des strates d’obéissance, de mutisme, d’incompréhension, d’amertume refoulée, de blessures émotionnelles et de jalousie. J’étais venue en quatrième position avec un défaut de naissance au pied.

Avec du recul, je peux dire que j’étais en état de choc permanent. Nous étions deux en une et nous menions notre vie chacune de notre côté. L’actrice, débrouillarde, un peu rusée savait tirer parti des modalités de survie du monde extérieur. L’autre, ailleurs mais bien vivante voguait à vue dans son océan d’émotions. Nous n’avions pas conscience l’une de l’autre, mais nous faisions bel et bien ménage commun.

A l’adolescence, l’une est parvenue à se glisser avec un certain succès dans le monde académique, alors que l’autre faisait les cent coups, séchait les cours et tentait d’émerger de son isolement émotionnel en multipliant les relations sexuelles. Mes parents ? Une commodité, une sécurité. J’avais accumulé trop de ressentiments pour être capable d’avoir de la gratitude pour ce qu’ils faisaient pour moi. Je suppose que j’estimais que c’était leur job, nous ne parlions jamais de nos sentiments. Ma mère critiquait mon père et mon père se taisait. Mes frères et sœurs, beaucoup plus âgés, s’étaient éparpillés aux quatre coins de la Suisse. Bref, mes parents vivaient dans leur monde et moi dans le mien. Nous avions une chose en commun, nous vivions le fossé des générations.

Mes parents avaient vécu deux guerres mondiales et je les ai connus dans la phase de reconstruction. Le boom des naissances, l’essor économique. Moi j’étais arrivée dans la sécurité et l’abondance et en mai 68, nous voulions de la vie autre chose que l’obéissance à l’autorité, l’asservissement au travail ou l’hypocrisie sexuelle et religieuse. Logiquement, nos parents n’ont pas compris nos valeurs et nous les avons condamnés pour leurs égarements.

Les années ont passé, mes parents sont partis et une nouvelle génération est née et encore une autre après celle de nos enfants.

Au cours de ce voyage générationnel, mon appréciation pour les prestations de mes parents n’a fait que grandir. Encore maintenant, des bribes de souvenirs remontent à la surface de ma mémoire et je suis souvent émue aux larmes quand je réalise les trésors de patience, de tolérance, de résilience, de sacrifice, d’abnégation, de soutien inconditionnel et d’amour en fin de compte dont ils ont fait preuve à mon égard. Je n’avais voulu voir que l’autre versant : leurs critiques, les travers de leur personnalité, leurs mensonges.

En fait, je leur en ai voulu très longtemps de ne pas être les parents parfaits que j’imaginais. Je ne leur pardonnais pas de ne pas être aussi parfaits qu’ils auraient voulu l’être. Ce n’est qu’en acceptant mes propres limites, que le reproche pour ce qu’ils n’étaient pas s’est transformé en appréciation pour ce qu’ils étaient.

Le sentiment de gratitude vraie et fondée estompe les brumes de la négativité. Au début, on rechigne face au prix qu’on imagine devoir payer. Mais la gratitude est gratuite précisément. L’abandon des prétentions ou de l’arrogance qui entravent l’accès à la gratitude libère ce qu’il y a de plus précieux en nous et constitue une récompense en soi.

Chaque génération gère au mieux l’héritage de la précédente. Confiance et respect de la différence.

Si le regard vers l’amont a généré de la gratitude. Le regard vers l’aval m’a inspiré confiance et respect. Je n’ai vraiment pris conscience de la nouvelle génération qu’au milieu de la cinquantaine. Jusque-là, j’étais dans le monde et je faisais le monde. Éblouie par mes succès professionnels et relationnels, je surfais sur l’illusion que cela durerait toujours… Si d’autres échouaient, moi pas. Un jour, alors que je me plaignais auprès d’une de mes amies plus jeunes d’avoir moins de participants dans mes séminaires, celle-ci m’a répondu : « Place à la nouvelle génération ! » Abasourdie et blessée dans un premier temps, j’ai accepté de digérer. En tant que formatrice d’adultes, je savais pourtant que mes étudiants allaient développer professionnellement ce que je leur enseignais. Pourtant, j’avais occulté le fait qu’ils allaient attirer des clients et finir par me remplacer.

Ce petit monde que j’avais construit, on allait me le prendre ? Ont alors suivi plusieurs années de lutte pour tenter d’empêcher la roue de tourner. Et puis est venu le jour où je me suis surprise à récriminer les jeunes, comme ces petits vieux de mon adolescence qui prédisaient la fin du monde parce que nous revendiquions l’amour pas la guerre. Alors, j’ai lâché, j’ai compris et j’ai accepté. Oui, ils allaient faire les choses autrement et probablement même mieux. Oui, leurs valeurs allaient faire évoluer les nôtres. Oui, ils trouveront les moyens de satisfaire leurs besoins et oui, ils prépareront une nouvelle génération. Ils inventeront de nouveaux possibles, créeront des ressources, s’adapteront, seront aussi astucieux que nous l’étions et apprendront de leurs erreurs. C’est une évidence : la vie saura se réinventer à travers eux comme elle l’a toujours fait et cette certitude engendre un grand sentiment de paix.

Confiance donc, respect et soutien inconditionnel à la nouvelle génération qui devra elle aussi affronter son destin. A chaque génération ses victoires. A chaque génération son tribut à payer. Au lieu de crier au naufrage partageons les fruits de notre expérience, offrons amour et soutien.

Les adultes doivent-ils tout révéler de leur intimité à leurs enfants ?

Si tout le monde s’accorde à dire que les non-dits peuvent peser lourdement sur un système familial et bloquer l’épanouissement de ses membres, les avis diffèrent en ce qui concerne la façon de les gérer. Certains sont d’avis qu’il faut parfois garder le secret pour protéger les siens. Une question délicate.

Comme des pommes en or dans des ornements en argent,
Ainsi est une parole dite au bon moment.
La Bible

Les partisans de la vérité considèrent qu’il faut garder la boîte de Pandore ouverte et que la communication au sein d’un système familial doit être sincère, franche et réaliste si l’on souhaite créer un terrain de confiance, de soutien mutuel et d’épanouissement. Plutôt exposer les choses telles qu’elles sont, tout imparfaites qu’elles soient, pour favoriser le réalisme, le libre-arbitre et le non-jugement.

Mais ne faut-il pas protéger l’enfant à l’âge où son rapport au monde est encore symbolique, émotionnel et lacunaire ? N’est-il pas préférable que les adultes gardent pour eux leurs affaires d’adultes?  Les parents ont-ils des comptes à rendre à leurs enfants sur leurs choix de vie ? Les enfants sont-ils à même de comprendre, à l’orée de leur vie, les enjeux auxquels étaient confrontés leurs parents ?

Les nombreux cas que nous avons eu la chance de suivre dans nos ateliers de constellations familiales en groupe ou en individuel ont mis en évidence un processus psychologique que tout adulte doit traverser avant de pouvoir se sentir libre de ses parents et de pouvoir les aimer tout bonnement, pleinement et sans réserve, quelles qu’aient été les circonstances de la vie partagée.

Le petit enfant a besoin de se sentir en sécurité et de pouvoir copier des modèles stables pour se développer. A ce stade de son évolution, il n’a pas la capacité d’évaluer les multiples aléas d’une situation et pour se protéger de ce qui le déstabilise ou le menace, il se construit une représentation idéale de ses parents et de sa fratrie. Plus ses parents sont dysfonctionnels, plus il a besoin de les idéaliser et d’occulter leurs comportements défaillants.

Tôt ou tard, l’enfant se réveille de son songe et le choc de la déception peut libérer une immense colère, l’envie de détruire ces parents qui n’ont pas été à la hauteur du rêve. On accuse ses parents de tous les maux et on s’en éloigne le plus possible : surtout ne pas devenir comme eux ! Je vais faire tout le contraire avec mes propres enfants ! Moi, je ne ferai pas subir à mes enfants ce que mes parents m’ont fait subir…

Et puis, à mesure qu’on avance dans la vie, à force d’être confrontés aux mêmes problèmes que nos parents, d’essuyer des défaites et de remporter des victoires, tout comme eux, nous acceptons de devenir adultes. Nous comprenons que nos parents sont des êtres humains et non des personnages de contes de fée et cette épiphanie libère chez de nombreuses personnes la charge négative qu’elles portaient envers leurs parents.

En se dispersant, la chape de négativité libère l’élan d’amour qui relie naturellement parents et enfants. En tant que parent, il est inutile de vouloir s’expliquer, se justifier, demander pardon à ses enfants, que sais-je encore, avant que ceux-ci n’aient réalisé pour eux-mêmes un état d’intégrité suffisante. Dévoiler des manquements ou des fautes trop tôt, au lieu d’apaiser, risque d’attiser l’indignation et l’incompréhension. A l’inverse, manquer le moment de la conciliation peut créer des dommages qui se perpétuent ensuite dans la succession des générations.

Quand vient le moment où les enfants sont devenus des adultes et où les uns et les autres réalisent qu’en tant qu’êtres humains, nous sommes certes limités, mais que nous faisons toujours de notre mieux avec ce qui nous est donné à chaque instant, il faut parler. C’est une chance qu’il faut saisir avec courage, mais ne manquer à aucun prix. Il est alors possible de partager certains secrets avec ses enfants sans déguisement, mais avec sincérité. Alors, l’exercice aura l’effet d’une rédemption.

Et les parents disent à leur enfant : « Les choses ne se sont pas toujours passées comme je l’aurais voulu, mais j’ai fait de mon mieux avec ce dont je disposais et au fond de moi, je t’ai toujours aimé de tout mon cœur. »

Et les enfants répondent : « Moi aussi je t’ai toujours aimé de tout mon cœur. Je te remercie de m’avoir donné la vie et en ton honneur, j’en fais quelque chose de bien. »

Chinta B. Strubin